Auteurs: Hermann, Séra, Dany, Yves H
Maison d'édition: Casterman
Date de publication: 2009
Nombre de pages: 319
Une série de bande dessinées en trois
tomes se penchant sur le personnage du fameux noble roumain aux
multiples facettes, réelles et mythiques...
Dracula est clairement une des figures les plus importantes de la culture pop...être aux multiples visages (littéralement...) il a eu droit à des adaptations, déclinaisons et autres apparitions sur tous les supports possibles et imaginables...Il mérite amplement un tel traitement, tant cette figure est riche, dense et intemporelle...ça tombe bien, aujourd'hui, on le pose sur la table d'opération...
Transylvania! Fuck yeah!! |
Les auteurs:
Hermann est probablement le plus connu
de l'équipe. Dessinateurs génial à la carrière ultra riche
(surtout connu pour l'énorme cycle des Tours de Bois-Maury)
il a récemment été récompensé pour l'ensemble de son œuvre au
festival d'Angoulême. A ses côtés, au scénario, on trouve son
fils, Yves H qui signe toutes les intrigues de la série.
Yves H et son pôpa Hermann |
Au dessin, nous avons aussi Séra, un
vétéran d'origine cambodgienne auteur des dessins de la série les
Processionnaires.
Séra |
Et, pour finir, Dany, Belge à la longue carrière et à la bibliographie foisonnante.
Dany (vous aussi vous trouvez qu'il ressemble à un mélange entre Harisson Ford et Patrick Sébatien?) |
Vlad III Tepes, handsome is my second name... |
Entrons
donc dans le vif du sujet, qu'elle est donc cette série? Il s'agit
en fait de trois one shots ayant certes en commun le personnage de
Dracula mais se focalisant chacun sur un aspect très précis du
bonhomme. Le premier tome nous parlera de Vlad III Tepes, surnommé
Dracula, le personnage historique (qui aurait inspiré Bram Stoker
même si il est difficile de dire dans quelle mesure...). Le second
de Bram Stoker lui-même et de l'écriture de son chef-d'oeuvre
(Dracula le roman
sorti en 1897) et le troisième...et bien il est ''particulier''.
Commençons donc la
critique, tome par tome.
Le
premier, titré Vlad l'Empaleur, est donc un récit biographique du
voïevode (et non, le vrai Dracula n'a jamais été comte) de
Valachie (et il n'a pas on plus régné sur la Transylvanie), une principauté roumaine. Le
dessin d'Hermann est très réaliste, assez organique tout en nous
offrant de belles compositions qui respirent au travers d'un
découpage souple, tout comme les sublimes couleurs et lumières, qui
soulignent à merveille la dramaturgie du propos. Ledit propos est
assez intéressant puisqu'il s'intéresse à une figure empreinte
d'un certain mystère et d'une réputation sulfureuse. On suit donc
Vlad de sa naissance à sa mort, au travers de son combat pour tenir
le trône de son domaine, pris entre le marteau et l'enclume. D'un
côté, l'empire ottoman (dont il fut un temps l'otage) le pousse à
se soumettre, tandis que ses voisins voient d'un mauvais son
tempérament brutal et sans concessions et tentent de le canaliser et
parfois et de l'éliminer...Le contexte est assez complexe (les
Balkans n'ont malheureusement pas attendu les années 90 pour vivre
dans le chaos...) et repose sur un cycle sans fin de trahisons, au
milieu desquelles va surnager le guerrier en armure rouge. On doit
saluer le talent de Yves H. qui réussit à rendre le tout
parfaitement lisible et digeste, racontant une intrigue complexe qui
ferait passer Game Of Thrones
pour Oui Oui à la Plage (sisi...),
le tout sur seulement 67 pages. La violence est souvent crue et la
figure de Vlad a clairement de quoi effrayer tout en conservant une
aura de fascination presque morbide. A noter que chaque tome
comportera un dizaine de pages dévolues à des informations sur le
contexte dans lequel il se déroule (un bon complément qui permet
d'approfondir le sujet) Une entrée en matière remarquable, qui
nous montre que le Dracula réel n'a rien à envier à son homologue
de fiction et qui laisse présager le meilleur pour la suite.
La naissance du p'tit Vlad...ça claque hein? |
Une des rares photos de Stoker, prise en 1905 #autérité |
La
seconde partie, baptisée sobrement Bram Stoker, nous entraîne donc
dans l'Angleterre victorienne, et nous conte l'histoire de Bram
Stoker, l'auteur injustement méconnu d'un roman pourtant universel, Dracula. Là encore,
on le suit de sa naissance jusqu'à sa mort. Et c'est LA CLAQUE. Ce
deuxième tome est vraiment une surprise aussi belle qu'inattendue.
On a droit à une approche assez hors norme, tant sur le fond que sur
la forme. La composition est unique, alternant habilement cases et
extraits du roman. Les planches ont chacune leur propre structure, ce
qui est très inhabituel. Le dessin est fait de manière numérique,
ce qui est normal vu le challenge que présente le récit. On a droit
à des traits blancs qui semblent émerger d'arrières plan d'un noir
d'encre. Les visages sont pâles, d'un gris bleuâtre et les décors
paraissent éthérés. Pour ce qui est de l'intrigue, on se
concentre donc sur Bram Stoker, de son enfance d'enfant souffreteux à
sa mort dans le dénuement en 1912 (le jour du naufrage du Titanic,
donc tout le monde s'en foutait...). On le voit passer de
fonctionnaire à Dublin à régisseur dans un des théâtre les plus
en vue de Londres, le Lyceum. Il se met alors au service d'un des
plus grands acteurs britannique des son temps, Henry Irving. Cette
relation particulièrement malsaine de dominant/dominé entre le
régisseur et son patron/ami/modèle est au cœur du récit. Yves H
émait une hypothèse intéressante dans ce tome, celle selon
laquelle le chef-d'oeuvre de Stoker ne serait qu'une sorte de récit
autobiographique fantasmé, soigneusement travesti en récit
fantastique. Tous les personnages du roman seraient les différentes
facettes des membres de l'entourage de Stoker (sa femme, Irving...).
Dans cette plongée au cœur de la vie et de l'âme du géant
irlandais, on croise du beau monde, tout le gratin romantique de
l'époque (Wilde, Whitman...). On redécouvre avec surprise, mais non
sans plaisir, ce roman au travers de son auteur. On perçoit dès
lors la profonde détresse de Bram, ses obsessions (mariage heureux,
force morale...) et le fait que cette œuvre lui permet
d'extérioriser ses frustrations, lui qui semble avoir vécu ce qu'il
nous conte...Une vraie merveille qui ouvre une porte immense sur un
homme de l'ombre et son époque toute aussi sombre...Les suppléments
permettent justement d'en apprendre plus sur les inspirations et
sources de l'auteur (et montrent que le lien entre le Dracula de
fonction et son modèle historique sont finalement assez ténus) et
mettent en avant les liens entre la grande et la petite histoire.
Et voilà qu'arrive
le troisième tome, Transylvania...et, comme dirait l'autre....c'est
LE DRAME. Ce dernier segment, toujours scénarisé par Yves H et
dessiné par Dany, brise la superbe ligne instaurée par ses
prédécesseurs... Il s'agit cette fois de parler directement du
Dracula de fiction, et bon...comment dire...Niveau scénar' on a
droit à tous les poncifs du genre (le couple en crise, les
vampiresses nymphos, le comte majestueux et maudit...) un gros gloubi
boulga qui mixe tout ce qu'on a déjà vu 100 fois ou presque sur le
personnage. En gros, un dessinateur de BD en manque d'inspiration
décide de débarquer en Roumanie avec sa femme sur l'invitation d'un
mystérieux correspondant...vous connaissez la suite...Niveau dessin
et bien Dany est clairement plus habitué à raconter des histoires
légères, voire coquines...du coup, il s'en donne à cœur joie et
nous colle des cases-nichons un peu partout (là pour le coup, c'est
en partie un mauvais choix de recrutement...tout ne lui incombe pas),
les couleurs sont assez vives et soutenues, ce qui est souvent un peu
agaçant voire agressif. Fort heureusement, il y a quelques
fulgurances...mais bon, on est loin du niveau des tandems précédents,
et ce n'est pas la fin ouverte en mode
twist-haha-vous-croyez-que-c'est-fini-et-bé-non qui va arranger les
choses...Une note finale décevante donc, mais consolons-nous en
mettant en avant le niveau stratosphérique des deux premiers tiers
de la série!
Huuuuum, subtil, élégant...ou pas... |
Les trois tomes
sont complétés par un guide, qui nous propose deux circuits ultra
détaillés pour explorer la Roumanie et découvrir les lieux qui ont
servi de décor à la légende. Une excellente initiative, qui
pourrait bien donner quelques idées aux voyageurs...J'en profite
pour conseiller quelques ouvrages à ceux qui souhaiteraient aller
plus loin:
- Dracula de Matéi Cazacu, véritable bible sur la figure historique de Vlad l'Empaleur...son auteur est un universitaire d'origine roumaine et membre du CNRS (payes ta crédibilité), le texte est donc un peu ardu mais vaut carrément le coup (on a aussi droit à pas mal de documents dont l'introuvable Capitaine Vampire de Marie Nizet, roman qui inspira Stoker et qui est français *cocorico+Marseillaise*)
- Les Métamorphoses de Dracula de Denis Buican. Un peu plus général mais plein d'idées assez géniales.
- Les Nombreuses Vies de Dracula de André-François Ruaud et Hervé Jubert. Biographie fictive du Comte, qui repose sur toutes les œuvres littéraires le mettant en scène autant que sur la réalité historique, une bonne introduction au personnage. La collection Bibliothèque rouge des Moutons Electriques est d'ailleurs très intéressante...
Et bien sûr, lisez
le roman de Stoker si ce n'est pas fait (ou relisez-le, au pire, vous
le verrez différemment) et regardez donc les films le mettant en
scène (peu sont vraiment mauvais alors faîtes-vous plaisir),
surtout la version de 1992 de Coppola...
Coucou, t'as vu mon nouveau brushing? |