Titre original: The Godfather
Auteur: Mario Puzo
Maison d'édition française: Robert
Laffont
Date de publication: 1969 USA, 1970
France
Nombre de pages: 482
La sombre et fascinante saga de la
Famille Corleone, grande organisation de la Mafia Italo-américaine...
Mario Puzo est un écrivain américain
né à New-York en 1920 et mort à Long Island en 1999. Il grandit
dans une famille napolitaine de Hell's Kitchen. Il s'engagera dans
l'US Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale mais sera vite
démobilisé à cause de ses problèmes de vue. Il est envoyé en
Allemagne en tant qu'officier chargé des relations publiques au
début de la Guerre froide. Il en tirera la matière de son roman The
Dark Arena, publié en 1955. Il fera ensuite carrière dans le
journalisme. Après la publication de The Fortunate Pilgrim
(1965), son éditeur lui suggère
de centrer son prochain roman sur la Mafia. La suite, on la connaît.
Le Parrain est publié en 1969 et est un succès retentissant, qui
donnera naissance aux énormes adaptations (surtout les deux premiers
volets) par le jeune Francis Ford Coppola. On s'en tiendra là parce
que cet aspect de son travail est bien connu. A noter toutefois que
Puzo obtiendra deux Oscars pour son travail sur ces adaptations. Il
continuera à écrire pour le cinéma, notamment les scripts des deux
premiers Superman (vous l'avez pas vue venir celle-là hein?). Il
consacrera sa vie à ses romans jusqu'au bout et en laissera certains
inachevés.
Une uchronie basée sur le sort de la famille Kennedy |
Haaaaaaaaa,
Le Parrain, beaucoup en parlent comme du meilleur film de tous les
temps mais certains ignorent qu'il s'agit d'une adaptation. Et quelle
adaptation!! Le roman original est particulièrement dense et riche
et le film peine à suivre la cadence tant les personnages sont
nombreux, fouillés et travaillés. On se croirait dans une version
gangster de Game Of Thrones. Grosso modo, l'intrigue est la même que
celle du premier film (avec en plus les flashback se focalisant sur
la jeunesse de Vito). On découvre donc une famille en proie à de
profonds changements alors que la Seconde Guerre mondiale se termine
et que le fils prodigue, Michael, rentre à la maison. Son père,
Vito est le chef de famille dans tous les sens du terme et doit faire
face aux nombreux défauts de ses autres fils, Sonny et Fredo. La
situation est d'autant plus critique qu'un marché avec un trafiquant
de drogues pose des questions existentielles à ses ''hommes
d'honneur'' qui doivent survivre dans un mode en plein changement. Le
chaos qui va en résulter va tout balayer sur son passage et changer
l'équilibre des forces du monde souterrain qui sape les fondations
de la société américaine. Il est difficile de résumer tout ça
pour ceux qui ne l'ont pas vu/lu et sans intérêt de le faire pour
ceux qui connaissent bien cet univers.
Une
des choses qui frappe dès les premières pages c'est le nombre ahurissant de
détails qui nous est balancé dans la tronche. La fameuse
ouverture au mariage de la famille du Don nous présente ENORMEMENT
de personnages, chacun avec leur histoire et leur personnalité qui
sont fort bien esquissées. Certains sont d'ailleurs complètement
abandonnés dans le film, et on comprend pourquoi, pas assez de
place. La logique du livre et du film est de présenter un monde à
part, en marge de la société respectable tout en étant au cœur de
celle-ci. Tout est affaire de liens, de connexion, de famille et
d'amitié. Ces liens inextricables sont aussi fascinants à suivre
que les personnes qui les portent. Un peu à l'image du splendide
visuel de la couverture que l'on doit au prolifique S.
Neil Fujita (qui a signé nombre de covers iconiques du mythique
label de jazz Blue Note) et qui sera repris pour les besoins des
films. La famille
Corleone est vaste et navigue aisément entre la criminalité et la
respectabilité, ce qui la rend ambiguë au possible, donc
passionnante à découvrir. On prétend que Puzo s'est inspiré de la
réalité de la communauté Italo-américaine pour dresser ce
portrait, et il est vrai qu'il sonne authentique. Sur le plan
criminalistique, on peut dire que ça tient la route, on a droit à
une image, certes fictionnelle, mais très crédible du monde de la
Mafia. Il a introduit un grand nombre de termes propres à celui-ci
au grand public: omerta, consigliere, Cosa Nostra... On peut s'amuser
à faire le lien avec de véritables mafiosi (Lucky Luciano, Meyer
Lansky...) et ceux faits de papier de Puzo. D'ailleurs, le livre fut
une des sources d'information de certains juges travaillant sur les
affaires de crime organisé de l'époque.
Au
niveau du style, on est saisi par l'ambivalence de Puzo. Les scènes
de violence et de sexe (assez nombreuses, souvenez-vous, GoT...) sont
crues et graphiques tandis que lorsqu'on touche aux émotions et
sentiments des personnages, les choses se font bien plus subtiles. La
connaissance qu'à l'auteur de l'âme humaine est un outil redoutable
qui lui permet de créer des êtres incroyablement ''vrais'' et
contrastés. En ce sens, cette alternance offre un contraste fort
appréciable et confère encore plus de force et d'épaisseur à
l'univers qui nous est livré. En termes de rythme, on passe souvent
d'un personnage à l'autre et on voit du pays (New-York, Los Angeles,
Las Vegas, la Sicile...) ce qui maintient constamment l'intérêt. On
a presque l'impression de livre un roman feuilletonnesque, bien qu'il
ait directement été publié en un seul tome.
Portrait de famille... |
Au
niveau du propos, difficile de vraiment savoir de quoi il retourne.
Puzo voit ce travail comme une simple histoire de mafieux, mais il y a
beaucoup de thématiques sociales qui sont abordées:sexisme,
racisme, valeurs traditionnelles, communautarisme... Le livre en dit
beaucoup sur la société américaine de l'époque sans donner de
leçons ou se transformer en pamphlet. On pourrait l'accuser d'être
complaisant vis-à-vis de la Mafia, ce qui n'est pas tout à fait
faux mais aussi plus complexe. Vito Corleone est présenté comme un
modèle d'honneur et d'intégrité mais n'oublions que les points de
vue exprimés sont ceux des personnages, pas de l'auteur. Il est donc
difficile de savoir où on nous emmène et chacun à sûrement sa
vision du livre. Il se peut tout simplement que Puzo ait juste voulu
faire une histoire populaire de brigands magnifiques...Quoi qu'il en
soit, c'est une saine lecture, très plaisante et divertissante avec
un style racé et affirmé (auquel la traduction confère une petit
côté désuet appréciable)
Un
must que tout cinéphile se doit d'avoir lu. Et pour les autres, un
petit séjour dans les souterrains criminels à ne pas rater.