lundi 20 avril 2015

La Légende de la Mort

Titre complet: La légende de la mort en Basse-Bretagne.
Auteur: Anatole Le Braz
Maison d'édition française: plein (archiPoche pour la version poche et Au Bord des Continents pour la version illustrée)
Date de publication: 1893
Nombre de pages: 461

Une recueil d'histoires présumées vraies et de superstitions entourant la mort et l'Au-delà en Bretagne...

Breizh SWAG
Anatole Le Braz est probablement le plus grand écrivain breton. Né en 1859, il est professeur et conférencier spécialisé dans le folklore de sa terre natale des Côtes d'Armor. Il fut toujours publié en français malgré sa parfaite maîtrise des dialectes bretons (du coup, ses poèmes sont quasiment tous inédits). Un comble pour cet acteur essentiel du mouvement régionaliste breton de la fin du XIXème. Ce grand attachement ne l'empêchera pas d'être un homme du monde qui donna des conférences , au  profit de l'Alliance française, jusqu'aux Etats-Unis. Il mourut en 1926, laissant derrière lui une œuvre abondante, tant romanesque que ''sociologique'' ou folklorique. 



La Légende de la Mort est certainement son ouvrage le plus connu, et pour cause!! Il s'agit clairement d'un témoignage de première main sur ce folklore et ses traditions que l'auteur affectionnait tant. Sur près de 500 pages, on découvre nombre d'histoires, dont certaines font plutôt froid dans le dos. La vivacité de la culture celtique est au cœur de l'oeuvre, qui nous montre une Bretagne singulière, à part dans le territoire français qui n'a eu de cesse de s'uniformiser au fil du temps. Les vieux contes ont la peau dure et continuent de rythmer la vie quotidienne des habitants de ces régions rurales. 


Le découpage du livre est très efficace. Chaque chapitre est consacré à une thématique: intersignes (signes avant-coureurs de la mort), sort réservé aux noyés, Enfer, Paradis et, bien sûr, l'Ankou...
Il convient de revenir sur cette figure centrale des mythes bretons. L'Ankou (que l'on aperçoit dans Kaamelott, par exemple) est un vieil homme pâle utilisant un vieille charrue grinçante pour collecter, avec l'aide deux acolytes, les âmes des morts. Munie d'une faux à la lame inversée, il est en somme une version masculine de la grand Faucheuse, autant craint que respecté par les bretons qui frémissent à l'idée de le croiser sur une petite route la nuit...Bien qu'important, il n'est présent que dans un seul chapitre du livre, qui a bien plus à raconter.


Les histoires qui nous sont contées ont souvent une dimension morale et sont autant des mises en garde que des récits idéaux pour une veillée au coin du feu. On est souvent effrayé ou un peu triste face au désespoir qu'ils renferment. Mais, de temps à autre, une belle histoire émerge, comme un diamant au milieu du charbon. En ce sens, celles consacrée à Ys (l'Atlantide bretonne) sont assez belles, voire épiques. Certaines ont carrément un côté épique et forment de brèves épopées. La rédemption est toujours présente, et on sent l'influence de la culture chrétienne sur ces vieux mythes.


Le style est efficace, usant de l'oralité comme il se doit (Anatole ayant littéralement battu la campagne pour collecter toutes ces histoire de la bouche de ceux qui les ont vécues ou entendues). On est pris dans l'ambiance et les nombreux passages en Breton sont traduits ce qui rend le tout très accessible. On se croit marcher dans les pas de Le Braz en lisant son ouvrage très vivant. 

Une maison de Korrigan, pour détendre l'atmosphère et parce qu'il faut bien parler de Korrigans
Au fil des décennies, ce livre s'est avéré être l'un des plus prisés des amateurs de folklore. Il a connu de nombreuses éditions, mais je vous en recommande deux: la première en version poche avec une superbe gravure de Gustave Doré en couverture (plutôt à propos) et préfacée par Claude Seignolle (un spécialiste de ces questions), la deuxième richement illustrée et éditée chez Au Bord des Continents (qui est une formidable maison si vous aimez la fantasy et ses sources légendaires).


En bref, si vous aimez la Bretagne et sa culture ou que vous intéressez au folkolore de manière plus général, voilà un incontournable à lire au moins une fois. On ne voit qu'une partie du riche folklore breton, mais la balade est riche et dense.

dimanche 12 avril 2015

Doomboy


Auteur: Tony Sandoval
Maison d'édition française: Paquet
Date de publication: 2011
Nombre de pages: 130

D est un jeune guitariste métalleux qui fait l'objet de critiques et de moqueries de la part de son entourage. Il est un jour confronté à la mort de sa petite amie. A partir de là, il consacre tout son art à honorer sa mémoire, se mettant en quête du son parfait...


Tony Sandoval est un dessinateur et scénariste de bande-dessinée mexicain né en en 1973. Originaire du Nord Ouest du pays, il devient très jeune fan de comics américains. Il est aussi grand fan de métal et a fait partie de plusieurs formations de doom dans sa prime jeunesse. Mais il s'est avéré meilleur conteur que musicien. Sa carrière de dessinateur l'amène à travailler pour plusieurs agences de graphisme locales avant de commencer les choses sérieuses au milieu des années 2000. il est en effet repéré par le directeur des éditions Paquet, qui non content de lui offrir ses premiers pas dans la BD en 2005 (avec Vieille Amérique) lui confiera la gestion d'une nouvelle collection, Calamar, dans laquelle on retrouvera toutes ses œuvres. Il est surtout connu pour ses one-shot à l'ambiance singulière et indéfinissable: Le Cadavre et le Sofa, Nocturno (bien qu'il s'agisse d'un diptyque) et plus récemment Serpents d'Eau. Mais Doomboy occupe clairement une place unique dans sa bibliographie.

Sorti en 2011, il va représenter un véritable tournant dans sa jeune carrière. Il faut dire que l'on tient là l'opus de la maturité pour Sandoval. D, sous ses faux airs de Kurt Cobain, est un gros fan de métal en pleine tourmente. A l'âge où l'on devient adulte, il doit faire face à la mort sa copine, Anny . Il se retrouve littéralement avec un trou à la place du cœur, qu'il doit combler en faisant son deuil. A partir de là, sa vie se verra peu à peu investie par des éléments surnaturels. Il se fait rejeter de ses pairs qui le trouvent mauvais, ce qui ne l'empêche pas de leur casser la gueule à l'aide de sa guitare. Il décide alors de faire cavalier seul et de monter, sous le nom de Doomboy, un one man band de Doom metal (sous-genre qui cultive un goût prononcé pour le pesanteur des riffs, la distorsion et des thématiques telles que la malédiction, la mort et autres joyeusetés...). Avec son ami Sep, il a pris l'habitude d'aller s'installer sur la plage voisine pour écouter les conversations de marins avec une radio de fortune. Un jour, un écho surpuissant émane de la radio. Ce son fascine D, qui y voit un moyen d'entrer en contact avec son amour défunt. Dès lors, il n'aura de cesse de le recréer à grands coups d'accords sur sa guitare. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'involontairement, il est diffusé sur une fréquence de radio locale, devenant un mystère, une sorte de légende pour les jeunes des environs.


Voilà pour l'intrigue. Ce qui frappe dans cette BD, c'est le sens du dosage particulièrement fin et subtil que Sandoval y a apporté. Qu'il s'agisse des diverses techniques de dessin, toutes parfaitement maîtrisées, et qui servent à merveille la narration, ou de la narration elle même, tout est fait pour nous entraîner dans un voyage intérieur. Le style de Sandoval est difficile à décrire, on pourrait se hasarder à faire un lien avec celui de Tim Burton, même si le Mexicain a une identité bien à lui. Le mélange, aquarelles/dessins est au cœur de son travail visuel. Pour ce qui est du storytelling, on voit bien que le bonhomme n'en est pas à son coup d'essai. La narration est très simple en apparence, linéaire, mais  particulièrement dense, mêlant habilement les tons et les genres pour créer un tout unique et cohérent. Tantôt touchante, épique, romantique, chevaleresque, réaliste, la geste de D montre encore une fois le talent de Tony pour créer un univers unique et très personnel sans être inaccessible. Sa justesse fait mouche à chaque fois. En quelque cases, il parvient à nous plonger en plein cœur d'un concert de métal, au milieu d'amours contrariées...Il traite de thématiques particulièrement graves avec une aisance et un naturel bluffants. Mais si il ne fallait en retenir qu'une, se serait l'Amour avec un grand A. De la première à la dernière page, les relations amoureuses et la passion, voire la dévotion imprègnent chaque traits, sans jamais tomber dans la facilité. 
 On est bluffés par le talent de l'auteur, qui réussit à saisir l'insaisissable, la fugacité et la magie qui frappent quand on s'y attend le moins. On a droit à de purs moments de flottement planants, où la poésie sonne comme une évidence. La façon qu'a Sandoval de dessiner ses personnages féminins y est pour beaucoup, on est saisi par la beauté et l'importance qu'il leur accorde, tant au niveau du scénario que du dessin, et je ne vous parle pas des scène de baisers qui sont absolument splendides. Le livre regorge de petites idées visuelles très efficaces, mises en valeur par un découpage au cordeau, laissant la part belle à des doubles pages impressionnantes, qui laissent éclater les visions et la magie qui sommeillent en D. 

Planche extraite de Serpents d'Eau
On ressort de cette lecture émerveillé, touché par la profonde humanité qui se dégage de cette étrange histoire, où tout n'est que magie et passion. Une vraie perle qui offrira à son auteur de nombreux prix ainsi qu'une notoriété amplement mérités. Une excellente entrée en matière à l'univers de Tony Sandoval.