samedi 31 octobre 2015

Les Cauchemars de Lovecraft





Auteur: Horacio Lalia
Maison d'édition: Glénat
Date de publication: 13 novembre 2014
Nombre de pages: 248

Une compilation de récits d'horreur du maître de Providence adaptés au format BD.


 
Horacio Lalia est un dessinateur argentin. Il est surtout connu pour ces adaptations de classiques littéraire d'horreur et fantastique. En vrac: Le chat noir de Poe, Les mystère de Londres de Paul Féval, et Lord Jim du grand Joseph Conrad (le gars qui a inspiré Apocalypse Now au travers de son ouvrage Au cœur des Ténèbres). Concernant Lovecraft, il publiera trois recueil d'histoire de 1998 à 2003: Le Grimoire maudit, Le Manuscrit perdu et La Couleur tombée du Ciel. Ils sont regroupé dans le bon gros omnibus qui nous intéresse aujourd'hui.




Coucou
Présenter Howard Philips Lovecraft me paraît nécessaire à ce stade. Né en 1890 à Providence, Rhode Island et mort en 1937 dans la même ville, il sera d'après Stephen King, un de ces plus fervents admirateurs, ''le plus grand artisan du récit classique d'horreur du XXeme siècle''. Homme étrange, pétri de contradictions (peur de l'étranger mais fascination pour l'exotisme, entre autre bizarreries intellectuelles) il fera de la littérature un vecteur d'une imagination malade, morbide et d'une inventivité spectaculaire. En 1925, il écrit le premier récit fondateur d'un mythe moderne, L'Appel de Cthulhu. A grands coup de sectes dégénérées, de scientifiques médusés et de créatures pleines de tentacules et de livres emplis de secrets innommables, il invente un bestiaire emblématique en un seul coup. Le début d'une série de récits tous plus incroyables et effrayants les uns que les autres.( L'Abomination de Dunwich, Le Cauchemar d'Innsmouth...) son œuvre ne se résume pas à ça puisqu'il fut plume-louée pour de nombreux auteurs, poète et journaliste.  Poète de la folie et de la terreur cosmique, raciste et homme du monde tout à la fois, il meurt dans la pauvreté, le dénuement et la solitude. Si il ne connaît pas de succès public de son vivant, il accédera à une immense notoriété post-mortem. Son influence sur le monde de l'horreur, de la SF, du fantastique et, disons-le simplement, de la culture populaire est impossible à mesurer (Del Toro rêve d'adapter ses Montagnes Hallucinées sur grand écran, on croise les doigts!!). Du cinéma à la littérature en passant par le jeu vidéo, on ne compte plus les créateurs qui ont fat référence au reclus de Providence, nourrissant leur travail des visions horriblement dantesques de Lovecraft...


C'est donc sur une version ''BD'' que nous nous penchons aujourd'hui. Avec 18 récits au compteur, le sommaire de cet épais tome noir est assez conséquent. On a droit aux bons gros classiques des familles (L'Appel, L'Abomination, La Couleur tombée du Ciel,Je Suis d'Ailleurs) et d'autres moins connus (Les Rats dans les murs...) Un sélection éclectique qui permet d'avoir un bel aperçu de l'univers Lovecraftien. Ayant découvert le bonhomme au travers de ces adaptations en BD, je les conseille fortement. Le style visuel se prête bien aux intrigues. Noir et blanc incisif, trait précis et tendance baroque donne de la profondeur au monde qui nous est lancé en travers de la figure. Une superbe introduction aux travaux d'HPL dans une édition luxueuse (le petit sélecteur de pages noir fait son effet et est bien pratique). Si vous voulez prolonger l'odyssée dessinée des terres méphitiques des Grands Anciens, vous pouvez aussi jeter un œil au splendide volume d'Alberto Breccia, au style très différent de compatriote. Un must pour les fans de Cthulhu et ses amis, et une bonne façon de rentrer dans la secte des adorateurs... Une saine lecture pour ce jour particulier...

dimanche 25 octobre 2015

Conversations avec Martin Scorsese

Auteur: Richard Schickel, Martin Scorsese
Maison d'édition française: Sonatine
Date de publication: 2010 aux USA, 2011 en France
Nombre de pages: 602

Une longue série d'entretiens avec un des plus grands réalisateurs américains où il sera question de cinéma, bien sur, mais aussi de bien d'autres choses...

Richard Schikel est un écrivain et journaliste américain né en 1933 dans le Wisconsin. Il a mis sa plume au service de grands titres tels que Life ou Time. Il est surtout un auteur prolifique, avec plus d'une trentaine de livres publiés depuis 1960. Spécialisé dans les biographies dont de nombreuses stars (Brando Eastwood) il a aussi écrit sur la peinture (The World Of Goya) et le tennis (The World of Tennis, ouais, il se foule pas pour les titres...). En 2010, il publie le livre qui nous intéresse...



Martin Scorsese est un des plus grands cinéastes au monde, n'importe quel cinéphile vous le dira. Né en 1942 à New York, il tournera plus d'une vingtaine de films (moyens, courts longs, docuentaires, live...) Son influence est inquantifiable et ses états de services impressionnants (Raging Bull, Les Affranchis, Taxi Driver...). Bref, un tel homme méritait que l'on se penche sur sa carrière et sa vie trépidantes. Cela donna lieu à un certains nombre d'ouvrages et documentaires (dont le très bon Scorcese On Scorcese). Aujourd'hui, il a droit à une superbe exposition à la Cinémathèque de Paris et une rétrospective sur Arte, toutes deux amplement méritées. On ne vous le présente donc plus... Mais ce Conversations...est probablement l'ouvrage le plus définitif que l'on puisse imaginer...

Fruit d'années de rencontres et de conversations, d'un travail d'archivage colossal (les nombreuses photos en témoignent), il nous donne avant tout l'impression d'une longue soirée passées entre deux vieux amis. 600 pages où l'on a droit à un nombre conséquent d'anecdotes inédites mais pas que. Les genèses de tournages et de projets homériques (le passage douloureux sur Gangs Of New York) mais aussi et surtout, un superbe portrait. Scorsese est aussi intéressant que ses films, et ce livre le montre avec éclat. On découvre son parcours surprenant, de son enfance dans les quartiers populaires de la Grande Pomme, en passant par ses errances spirituelles (il a failli devenir prêtre catholique...) et bien sûr le rock n' roll...On aborde les multiples facettes d'un créateur qui ne se limite pas qu'aux films de gangsters (bien qu'ils soient géniaux). On découvre ses multiples passions et centres d'intérêt (dont l'Histoire), qu'il est un lecteur vorace (il adore Marguerite Yourcenar, en particulier L'Oeuvre au Noir). Bref, père Marty nous raconte ses histoires, et on est absorbés par sa vision acérée et lucide du monde qui l'entoure, avides de revoir sa filmographie complètement folle (dont ses films ''spirituels tels que Kundun, La Dernière Tentation du Christ, ou ses documentaires et live consacrés à la musique populaire...). On embrasse toute sa vie et sa filmographie jusqu'en 2010. 

Sur le tournage de Kundun (1997)
 
Bref, c'est un beau moment de passion et de vie que nous offre Shickel. Le tout emballé dans une très belle édition française, au design sobre et au papier agréable. Si vous êtes admirateur du travail de Scorsese ou que vous soyez simplement cinéphile ou curieux, c'est une lecture fascinante et qui ne laisse jamais la lassitude s'installer. 600 pages d'or en barre... 
Avec Mick jagger sur le plateau de Shine A Light, live des Rolling Stone (2008)

 

jeudi 22 octobre 2015

Neuromancien

Auteur: William Gibson
Maison d'édition française: La Découverte (puis J'ai Lu en poche)
Date de publication: 1984 aux USA, 1985 en France
Nombre de pages: 319 en poche

Dans un futur proche, rempli de cyborgs et d'hologrammes... Case est un ancien ''cowboy'', un hacker d'élite. A la suite d'une arnaque qui a mal tourné, ses clients lui ont injecté une neurotoxine brisant son système nerveux, l'empêchant de se connecter à la matrice pour continuer ses forfaits. Mais, un jour, un contrat lui est proposé, et va l'amener bien plus loin qu'il ne l'aurait cru...

Joie de vivre
William Gibson est un écrivain de science-fiction américain né en 1948, en Caroline-du-Sud. Pendant son enfance, il devient un grand lecteur, du fait de sa solitude et de son inadaptation sociale, il s'efforce de se construire une ''personnalité lovecraftienne'' (un homme de goût, donc) Sa vie fut dure, il perdit successivement son père puis sa mère et se mit à galérer en devenant brocanteur. Puis, il tombe les livres de la Beat Generation (les auteurs qui, tels Jack Kerouac, ont bati la contre-culture dans les années 50). Ensuite, se réfugie au Canada pour échapper à une affectation sur le front vietnamien en 1972. Il voyage beaucoup, se marie et fait une découverte capitale à travers la musique punk. Ces deux éléments vont constituer les bases de son univers pour les décennies à venir. Il décide de devenir écrivain, commence par publier des nouvelles et, influencer par l'adaptation ciné de Blade Runner, il se lance dans son premier roman en 1983, le décisif Neuromancien.



Voilà pour l'homme, maintenant l'oeuvre...Neuromancien (acronyme de Neuro, Romancier et Necromancien) est tout simplement le livre manifeste du mouvement Cyberpunk. Mais c'est quoi le cyberpunk? Et bien, c'est un sous-genre de science-fiction qui met l'accent sur certains points, nombreux mais précis: IA, cybernétique (bah oui, c'est dans le nom...), transhumanisme, critique du capitalisme au travers des mégacorporations, réalité virtuelle...Bref, un bon gros morceau. Le nom est évoqué par la critique (Gardner R. Dozois , rédac' chef du Asimov Science-Fiction Magazine) au début des années 80 pour définir le nouveau genre que Gibson vient de lancer avec son chef d'oeuvre initial. Car oui, il s'agit d'un chef-d'oeuvre, d'un travail bref, mais séminal qui va chambouler un certain nombre de conventions. Car si on peut faire nos pinailleurs et faire remonter le cyberpunk au Frankenstein de Mary Shelley (l'être humain artificiel, plutôt futuriste, non?), c'est là que les choses sérieuses commencent...

Environnement cyberpunk classique

Mais revenons à nos moutons (électriques). On suit donc les errances de Case, hacker déchu qui semble laisser libre cours à une auto destruction pernicieuse (dans cyberpunk, y'a punk, n'oubliez pas ça...) dans les bas fonds de Chiba, au cœur d'une vaste mégapole japonaise. Les premières lignes sont d'ailleurs splendides et posent merveilleusement bien le décor: ''Le ciel au-dessus du port était couleur télé calée sur un émetteur hors service...''. Il louvoie dans une environnement ultra-criminogène (il y a un gros côté roman noir dans le roman et le genre auquel il appartient). Il fait la rencontre de la mystérieuse et dangereuse Molly, au service du tout aussi mystérieux Armitage, qui va lui proposer une offre qu'il ne saurait refuser...la récupération de ses capacités neuronales indispensables au piratage mais il devra s'acquitter d'une tâche herculéenne en échange, qui le mènera aux quatre coin du monde rée et virtuel et même au delà, le tout accompagné de Muetdhiver, une IA inquiétante...Ne spolions pas plus l'intrigue pleine d'ambiguïté et de retournements de situations. On visitera la Conurb, vaste métropole reliant les grandes villes américaines de la Côte Est, le Japon et certains lieux en orbite...cet univers est surprenant, riche, plein de petits détails dévoilés au rythme de multiples descriptions d'objets, d'armes, de mouvements sociaux, du cyberespace...

Vue d'artiste d'un Neuromancien en pleine action
Parce que oui, le mot cyberespace est né dans ces pages et Gibson a anticipé la création d'Internet (ouais, carrément). La contre-culture futuriste est très présente, souvent de manière extrême (terrorisme, modifications corporelles hallucinantes, et les rastas de l'espace!!) et on retrouve tout l'attirail des thématiques du genre, qui font partie des fondamentaux de la SF actuelle...Le style de Gibson est univers, vivant parfois psychédélique (influence de Philip K. Dick) et déroutant dans certains passages, mais le dépaysement induit est étonnement plaisant... On est happé dans un tourbillon, un concentré d'inventivité formelle très cinématographique, qui dévoile un fond fascinant, une tambouille qui fera date et continuera a influencer les créateurs encore aujourd'hui...

L'ombre de Phlip K Dick plane...
Car oui, l'influence de ce livre est tellement énorme qu'on devra y consacrer un ouvrage entier, voici donc une liste pèle mêle: Matrix, Akira, Deus Ex, Ghost In The Shell, Dark City, Equilibrium, le jeu de rôle Cyberpunk et tout le reste...bref, étant geek, on a les larmes aux yeux et la reconnaissance au cœur en lisant ce livre splendide. Son héros solitaire et manipulé, ses questionnements existentiels (réalité/virtuel, immortalité...) et sa créativité sans limites laissent pantois du début à la fin...Un classique aussi bref qu'immense, une pierre angulaire pleine d'étranges circuits imprimés.

Deus Ex Human Revolution, jeu vidéo sous influence gibsonienne
A noter, il s'agit du premier tome de la Trilogie de la Conurb (Sprawl Trilogy en anglais) dont Comte Zéro et Mona Lisa s'éclate sont les suites indirectes et méconnues...

dimanche 19 juillet 2015

Le Parrain


Titre original: The Godfather
Auteur: Mario Puzo
Maison d'édition française: Robert Laffont
Date de publication: 1969 USA, 1970 France 
Nombre de pages: 482

La sombre et fascinante saga de la Famille Corleone, grande organisation de la Mafia Italo-américaine...

Mario Puzo est un écrivain américain né à New-York en 1920 et mort à Long Island en 1999. Il grandit dans une famille napolitaine de Hell's Kitchen. Il s'engagera dans l'US Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale mais sera vite démobilisé à cause de ses problèmes de vue. Il est envoyé en Allemagne en tant qu'officier chargé des relations publiques au début de la Guerre froide. Il en tirera la matière de son roman The Dark Arena, publié en 1955. Il fera ensuite carrière dans le journalisme. Après la publication de The Fortunate Pilgrim (1965), son éditeur lui suggère de centrer son prochain roman sur la Mafia. La suite, on la connaît. Le Parrain est publié en 1969 et est un succès retentissant, qui donnera naissance aux énormes adaptations (surtout les deux premiers volets) par le jeune Francis Ford Coppola. On s'en tiendra là parce que cet aspect de son travail est bien connu. A noter toutefois que Puzo obtiendra deux Oscars pour son travail sur ces adaptations. Il continuera à écrire pour le cinéma, notamment les scripts des deux premiers Superman (vous l'avez pas vue venir celle-là hein?). Il consacrera sa vie à ses romans jusqu'au bout et en laissera certains inachevés. 

Une uchronie basée sur le sort de la famille Kennedy
 
Haaaaaaaaa, Le Parrain, beaucoup en parlent comme du meilleur film de tous les temps mais certains ignorent qu'il s'agit d'une adaptation. Et quelle adaptation!! Le roman original est particulièrement dense et riche et le film peine à suivre la cadence tant les personnages sont nombreux, fouillés et travaillés. On se croirait dans une version gangster de Game Of Thrones. Grosso modo, l'intrigue est la même que celle du premier film (avec en plus les flashback se focalisant sur la jeunesse de Vito). On découvre donc une famille en proie à de profonds changements alors que la Seconde Guerre mondiale se termine et que le fils prodigue, Michael, rentre à la maison. Son père, Vito est le chef de famille dans tous les sens du terme et doit faire face aux nombreux défauts de ses autres fils, Sonny et Fredo. La situation est d'autant plus critique qu'un marché avec un trafiquant de drogues pose des questions existentielles à ses ''hommes d'honneur'' qui doivent survivre dans un mode en plein changement. Le chaos qui va en résulter va tout balayer sur son passage et changer l'équilibre des forces du monde souterrain qui sape les fondations de la société américaine. Il est difficile de résumer tout ça pour ceux qui ne l'ont pas vu/lu et sans intérêt de le faire pour ceux qui connaissent bien cet univers. 

Une des choses qui frappe dès les premières pages c'est le nombre ahurissant de détails qui nous est balancé dans la tronche. La fameuse ouverture au mariage de la famille du Don nous présente ENORMEMENT de personnages, chacun avec leur histoire et leur personnalité qui sont fort bien esquissées. Certains sont d'ailleurs complètement abandonnés dans le film, et on comprend pourquoi, pas assez de place. La logique du livre et du film est de présenter un monde à part, en marge de la société respectable tout en étant au cœur de celle-ci. Tout est affaire de liens, de connexion, de famille et d'amitié. Ces liens inextricables sont aussi fascinants à suivre que les personnes qui les portent. Un peu à l'image du splendide visuel de la couverture que l'on doit au prolifique S. Neil Fujita (qui a signé nombre de covers iconiques du mythique label de jazz Blue Note) et qui sera repris pour les besoins des films. La famille Corleone est vaste et navigue aisément entre la criminalité et la respectabilité, ce qui la rend ambiguë au possible, donc passionnante à découvrir. On prétend que Puzo s'est inspiré de la réalité de la communauté Italo-américaine pour dresser ce portrait, et il est vrai qu'il sonne authentique. Sur le plan criminalistique, on peut dire que ça tient la route, on a droit à une image, certes fictionnelle, mais très crédible du monde de la Mafia. Il a introduit un grand nombre de termes propres à celui-ci au grand public: omerta, consigliere, Cosa Nostra... On peut s'amuser à faire le lien avec de véritables mafiosi (Lucky Luciano, Meyer Lansky...) et ceux faits de papier de Puzo. D'ailleurs, le livre fut une des sources d'information de certains juges travaillant sur les affaires de crime organisé de l'époque. 

 
Au niveau du style, on est saisi par l'ambivalence de Puzo. Les scènes de violence et de sexe (assez nombreuses, souvenez-vous, GoT...) sont crues et graphiques tandis que lorsqu'on touche aux émotions et sentiments des personnages, les choses se font bien plus subtiles. La connaissance qu'à l'auteur de l'âme humaine est un outil redoutable qui lui permet de créer des êtres incroyablement ''vrais'' et contrastés. En ce sens, cette alternance offre un contraste fort appréciable et confère encore plus de force et d'épaisseur à l'univers qui nous est livré. En termes de rythme, on passe souvent d'un personnage à l'autre et on voit du pays (New-York, Los Angeles, Las Vegas, la Sicile...) ce qui maintient constamment l'intérêt. On a presque l'impression de livre un roman feuilletonnesque, bien qu'il ait directement été publié en un seul tome. 


Portrait de famille...
Au niveau du propos, difficile de vraiment savoir de quoi il retourne. Puzo voit ce travail comme une simple histoire de mafieux, mais il y a beaucoup de thématiques sociales qui sont abordées:sexisme, racisme, valeurs traditionnelles, communautarisme... Le livre en dit beaucoup sur la société américaine de l'époque sans donner de leçons ou se transformer en pamphlet. On pourrait l'accuser d'être complaisant vis-à-vis de la Mafia, ce qui n'est pas tout à fait faux mais aussi plus complexe. Vito Corleone est présenté comme un modèle d'honneur et d'intégrité mais n'oublions que les points de vue exprimés sont ceux des personnages, pas de l'auteur. Il est donc difficile de savoir où on nous emmène et chacun à sûrement sa vision du livre. Il se peut tout simplement que Puzo ait juste voulu faire une histoire populaire de brigands magnifiques...Quoi qu'il en soit, c'est une saine lecture, très plaisante et divertissante avec un style racé et affirmé (auquel la traduction confère une petit côté désuet appréciable)

Un must que tout cinéphile se doit d'avoir lu. Et pour les autres, un petit séjour dans les souterrains criminels à ne pas rater.

dimanche 3 mai 2015

Points chauds

Auteur: Laurent Genefort
Maison d'édition française: Le Bélial
Date de publication: 2012
Nombre de pages: 384

En 2019, de mystérieux portails s'ouvrent au quatre coins de la Terre. Ils laissent passer un grand nombre d'espèces extraterrestres qui transitent par notre petite planète bleue, changeant à jamais nos sociétés et notre vision de l'univers...

Laurent Genefort est un auteur qu'on ne présente plus. Il fait partie des cadors de la littérature de l'imaginaire en France. Né à Paris en 1968, il grandi en lisant les space opera de grands noms tels que Stefan Wul (Niourk), Frank Herbert (Dune) ou Jean-Pierre Andrévon (Gandahar). Il finit par se lancer dans les joies du fanzine et se fera repérer par Serge Brussolo, qui l'enjoint à écrire. Il est à l'époque étudiant en lettre (il consacrera sa thèse aux romans de science fiction). En résultera Le Bagne des Ténèbres, son premier roman. D'emblée, il s'avère être un formidable créateur de mondes, son imagination fertile lui permettant de développer une véritable mythologie. En 2001, il publie le premier tome de ce qui sera son grand œuvre, le cycle d'Omale avec le roman éponyme. Si la science fiction est son style de prédilection, il a aussi explorer les domaines de la fantasy (Les Ères de Wethrïn , Hordes...). Il a publié une quarantaine de romans, parmi eux, celui qui nous intéresse: Points Chauds.

Tout d'abord, parlons de la genèse du roman. A l'origine, il s'agit d'une nouvelle intitulée Rempart et publiée en 2011 dans le magazine Bifrost (un trimestriel centrée sur la SF et la Fantasy). Cette nouvelle nous narrait l'histoire à partir d'un seul point de vue, contrairement au roman, qui adoptera une structure éclatée. 

 
Comme dit précédemment, le postulat de départ du roman est que la Terre devient une zone de transit pour des milliers d'espèces aliens à partir de 2019 et l'ouverture des Bouches (les fameux portails). On suit quatre personnages principaux dans leur évolution à partir de cette date décisive: Léo, un français membre de Rempart, une force militaire internationale qui , sous l'égide des Nations Unies, intervient lors des incidents concernant les aliens et qui les guide d'une Bouche à l'autre; Prokopié, un Nénétse sibérien qui décide d'accompagner un groupe d'aliens Héhé Ty dans une dernière transhumance à travers la toundra; Camilla, une humanitaire italienne engagée en Afrique et qui doit faire face à la violence des milices envers les êtres venus d'ailleurs; et Raji, un scientifique indien fasciné par les Corcovados, une espèce extraterrestre paisible et curieuse. Grâce à ces divers points de vue, Genefort réussit à éviter le manichéisme primaire et permet d'interroger l'altérité (la grand thématique de son oeuvre) non seulement envers vers les aliens mais aussi entre humains, qui sont parfois très étrangers à leurs congénères.

En ce sens, le portrait que l'auteur brosse de l'humanité est assez intéressant, il nous montre toutes les dérives et les absurdités qui nous caractérisent et sont exacerbées par cette situation à tout le moins perturbante. Il évoque donc nombre de sujets, religion (croisades contre les ''étrangers), économie (exploitation des aliens dans des atelier clandestins), société... Mais aussi le meilleur, les divers héros (sauf peut être Léo, dans un premier temps) sont intéressés par les aliens, cherchent à les comprendre et à apprendre d'eux. Il y a donc autant de noir que de blanc dans ce petit roman qui concentre beaucoup en peu de pages. On pourrait songer à District 9 de Neil Blomkamp pour le sous propos qui se cache derrière, même si dans ce cas précis, la critique est plus générale et ouverte.

Sur la forme aussi, ce choix narratif est intéressant. Il permet au roman d'avoir un rythme dynamique passant d'un personnage à l'autre avec aisance, entre deux entrefilets donnant des informations globales sur notre monde en effervescence. Le caractère épistolaire de certains passages est parfaitement maîtrisé. Le style est concis, efficace et permet de rentrer d'emblée dans cet avenir pas si lointain et incongru, l'acuité de la vision de Genefort nous le rappelant assez souvent. Son imagination foisonnante lui permet de créer des aliens comme on en a jamais vus (pas de petits hommes verts ou gris ici).

Je vous recommande de faire l'acquisition de l'édition de poche, qui comprend un guide de survie, Aliens, mode d'emploi, à la fois très drôle et passionnant (il est surtout question d'entretenir de bons rapports avec ces nouveaux voisins, car certain s'installent définitivement sur Terre). Assez tordant par moment, il permet de développer un peu plus l'univers bâti dans le roman en lui adjoignant de nouveaux détails et espèces extraterrestres toutes plus originales et intéressantes les uns que les autres. 


En résumé, un petit bijou de SF humaniste, à la fois drôle, touchant, parfois sombre mais toujours diablement intelligent.

lundi 20 avril 2015

La Légende de la Mort

Titre complet: La légende de la mort en Basse-Bretagne.
Auteur: Anatole Le Braz
Maison d'édition française: plein (archiPoche pour la version poche et Au Bord des Continents pour la version illustrée)
Date de publication: 1893
Nombre de pages: 461

Une recueil d'histoires présumées vraies et de superstitions entourant la mort et l'Au-delà en Bretagne...

Breizh SWAG
Anatole Le Braz est probablement le plus grand écrivain breton. Né en 1859, il est professeur et conférencier spécialisé dans le folklore de sa terre natale des Côtes d'Armor. Il fut toujours publié en français malgré sa parfaite maîtrise des dialectes bretons (du coup, ses poèmes sont quasiment tous inédits). Un comble pour cet acteur essentiel du mouvement régionaliste breton de la fin du XIXème. Ce grand attachement ne l'empêchera pas d'être un homme du monde qui donna des conférences , au  profit de l'Alliance française, jusqu'aux Etats-Unis. Il mourut en 1926, laissant derrière lui une œuvre abondante, tant romanesque que ''sociologique'' ou folklorique. 



La Légende de la Mort est certainement son ouvrage le plus connu, et pour cause!! Il s'agit clairement d'un témoignage de première main sur ce folklore et ses traditions que l'auteur affectionnait tant. Sur près de 500 pages, on découvre nombre d'histoires, dont certaines font plutôt froid dans le dos. La vivacité de la culture celtique est au cœur de l'oeuvre, qui nous montre une Bretagne singulière, à part dans le territoire français qui n'a eu de cesse de s'uniformiser au fil du temps. Les vieux contes ont la peau dure et continuent de rythmer la vie quotidienne des habitants de ces régions rurales. 


Le découpage du livre est très efficace. Chaque chapitre est consacré à une thématique: intersignes (signes avant-coureurs de la mort), sort réservé aux noyés, Enfer, Paradis et, bien sûr, l'Ankou...
Il convient de revenir sur cette figure centrale des mythes bretons. L'Ankou (que l'on aperçoit dans Kaamelott, par exemple) est un vieil homme pâle utilisant un vieille charrue grinçante pour collecter, avec l'aide deux acolytes, les âmes des morts. Munie d'une faux à la lame inversée, il est en somme une version masculine de la grand Faucheuse, autant craint que respecté par les bretons qui frémissent à l'idée de le croiser sur une petite route la nuit...Bien qu'important, il n'est présent que dans un seul chapitre du livre, qui a bien plus à raconter.


Les histoires qui nous sont contées ont souvent une dimension morale et sont autant des mises en garde que des récits idéaux pour une veillée au coin du feu. On est souvent effrayé ou un peu triste face au désespoir qu'ils renferment. Mais, de temps à autre, une belle histoire émerge, comme un diamant au milieu du charbon. En ce sens, celles consacrée à Ys (l'Atlantide bretonne) sont assez belles, voire épiques. Certaines ont carrément un côté épique et forment de brèves épopées. La rédemption est toujours présente, et on sent l'influence de la culture chrétienne sur ces vieux mythes.


Le style est efficace, usant de l'oralité comme il se doit (Anatole ayant littéralement battu la campagne pour collecter toutes ces histoire de la bouche de ceux qui les ont vécues ou entendues). On est pris dans l'ambiance et les nombreux passages en Breton sont traduits ce qui rend le tout très accessible. On se croit marcher dans les pas de Le Braz en lisant son ouvrage très vivant. 

Une maison de Korrigan, pour détendre l'atmosphère et parce qu'il faut bien parler de Korrigans
Au fil des décennies, ce livre s'est avéré être l'un des plus prisés des amateurs de folklore. Il a connu de nombreuses éditions, mais je vous en recommande deux: la première en version poche avec une superbe gravure de Gustave Doré en couverture (plutôt à propos) et préfacée par Claude Seignolle (un spécialiste de ces questions), la deuxième richement illustrée et éditée chez Au Bord des Continents (qui est une formidable maison si vous aimez la fantasy et ses sources légendaires).


En bref, si vous aimez la Bretagne et sa culture ou que vous intéressez au folkolore de manière plus général, voilà un incontournable à lire au moins une fois. On ne voit qu'une partie du riche folklore breton, mais la balade est riche et dense.

dimanche 12 avril 2015

Doomboy


Auteur: Tony Sandoval
Maison d'édition française: Paquet
Date de publication: 2011
Nombre de pages: 130

D est un jeune guitariste métalleux qui fait l'objet de critiques et de moqueries de la part de son entourage. Il est un jour confronté à la mort de sa petite amie. A partir de là, il consacre tout son art à honorer sa mémoire, se mettant en quête du son parfait...


Tony Sandoval est un dessinateur et scénariste de bande-dessinée mexicain né en en 1973. Originaire du Nord Ouest du pays, il devient très jeune fan de comics américains. Il est aussi grand fan de métal et a fait partie de plusieurs formations de doom dans sa prime jeunesse. Mais il s'est avéré meilleur conteur que musicien. Sa carrière de dessinateur l'amène à travailler pour plusieurs agences de graphisme locales avant de commencer les choses sérieuses au milieu des années 2000. il est en effet repéré par le directeur des éditions Paquet, qui non content de lui offrir ses premiers pas dans la BD en 2005 (avec Vieille Amérique) lui confiera la gestion d'une nouvelle collection, Calamar, dans laquelle on retrouvera toutes ses œuvres. Il est surtout connu pour ses one-shot à l'ambiance singulière et indéfinissable: Le Cadavre et le Sofa, Nocturno (bien qu'il s'agisse d'un diptyque) et plus récemment Serpents d'Eau. Mais Doomboy occupe clairement une place unique dans sa bibliographie.

Sorti en 2011, il va représenter un véritable tournant dans sa jeune carrière. Il faut dire que l'on tient là l'opus de la maturité pour Sandoval. D, sous ses faux airs de Kurt Cobain, est un gros fan de métal en pleine tourmente. A l'âge où l'on devient adulte, il doit faire face à la mort sa copine, Anny . Il se retrouve littéralement avec un trou à la place du cœur, qu'il doit combler en faisant son deuil. A partir de là, sa vie se verra peu à peu investie par des éléments surnaturels. Il se fait rejeter de ses pairs qui le trouvent mauvais, ce qui ne l'empêche pas de leur casser la gueule à l'aide de sa guitare. Il décide alors de faire cavalier seul et de monter, sous le nom de Doomboy, un one man band de Doom metal (sous-genre qui cultive un goût prononcé pour le pesanteur des riffs, la distorsion et des thématiques telles que la malédiction, la mort et autres joyeusetés...). Avec son ami Sep, il a pris l'habitude d'aller s'installer sur la plage voisine pour écouter les conversations de marins avec une radio de fortune. Un jour, un écho surpuissant émane de la radio. Ce son fascine D, qui y voit un moyen d'entrer en contact avec son amour défunt. Dès lors, il n'aura de cesse de le recréer à grands coups d'accords sur sa guitare. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'involontairement, il est diffusé sur une fréquence de radio locale, devenant un mystère, une sorte de légende pour les jeunes des environs.


Voilà pour l'intrigue. Ce qui frappe dans cette BD, c'est le sens du dosage particulièrement fin et subtil que Sandoval y a apporté. Qu'il s'agisse des diverses techniques de dessin, toutes parfaitement maîtrisées, et qui servent à merveille la narration, ou de la narration elle même, tout est fait pour nous entraîner dans un voyage intérieur. Le style de Sandoval est difficile à décrire, on pourrait se hasarder à faire un lien avec celui de Tim Burton, même si le Mexicain a une identité bien à lui. Le mélange, aquarelles/dessins est au cœur de son travail visuel. Pour ce qui est du storytelling, on voit bien que le bonhomme n'en est pas à son coup d'essai. La narration est très simple en apparence, linéaire, mais  particulièrement dense, mêlant habilement les tons et les genres pour créer un tout unique et cohérent. Tantôt touchante, épique, romantique, chevaleresque, réaliste, la geste de D montre encore une fois le talent de Tony pour créer un univers unique et très personnel sans être inaccessible. Sa justesse fait mouche à chaque fois. En quelque cases, il parvient à nous plonger en plein cœur d'un concert de métal, au milieu d'amours contrariées...Il traite de thématiques particulièrement graves avec une aisance et un naturel bluffants. Mais si il ne fallait en retenir qu'une, se serait l'Amour avec un grand A. De la première à la dernière page, les relations amoureuses et la passion, voire la dévotion imprègnent chaque traits, sans jamais tomber dans la facilité. 
 On est bluffés par le talent de l'auteur, qui réussit à saisir l'insaisissable, la fugacité et la magie qui frappent quand on s'y attend le moins. On a droit à de purs moments de flottement planants, où la poésie sonne comme une évidence. La façon qu'a Sandoval de dessiner ses personnages féminins y est pour beaucoup, on est saisi par la beauté et l'importance qu'il leur accorde, tant au niveau du scénario que du dessin, et je ne vous parle pas des scène de baisers qui sont absolument splendides. Le livre regorge de petites idées visuelles très efficaces, mises en valeur par un découpage au cordeau, laissant la part belle à des doubles pages impressionnantes, qui laissent éclater les visions et la magie qui sommeillent en D. 

Planche extraite de Serpents d'Eau
On ressort de cette lecture émerveillé, touché par la profonde humanité qui se dégage de cette étrange histoire, où tout n'est que magie et passion. Une vraie perle qui offrira à son auteur de nombreux prix ainsi qu'une notoriété amplement mérités. Une excellente entrée en matière à l'univers de Tony Sandoval.

samedi 28 mars 2015

Entretiens avec Tim Burton


Auteurs: Mark Salisbury, Tim Burton, Johnny Depp.
Maison d'édition française: Points
Date de publication: 2012
Nombre de pages: 394


Une série d'entretiens entre Tim Burton et le journaliste Mark Salisbury. Burton revient sur sa vie, ses débuts et sa fructueuse carrière.

Il y a peu à dire sur Mark Salisbury. C'est un journaliste britannique spécialisé dans le cinéma qui a écrit, entre autres, sur Elysium de Neil Blomkamp.

Concernant Tim Burton, c'est une autre histoire. Né en 1958 à Burbank en Californie (lieu où se trouvent nombre de studios de cinéma et véritable antichambre d'Hollywood), il grandit en regardant les films de la Hammer, les Kaijus eigas japonais et se trouve une fascination pour Vincent Price. Introverti, il dessine et réalise ses premiers films, nourrissant un énorme univers intérieur. Cet univers est bien connu des cinéphiles du monde entier tant il a su marqué la pop culture avec des figures et des œuvres iconiques (on ne va pas les citer, si vous êtes là vous voyez de quoi je parle). C'est cet univers intérieur que Salisbury cartographie avec le renfort bienvenu du maître des lieux. 


Le livre se compose de courts chapitres se focalisant sur un film ou une période de sa vie (son enfance, sa collaboration étrange avec Disney...) dans l'ordre chronologique. Le découpage apporte un bon rythme au livre. Ce dernier est massivement illustré par de multiples dessins et croquis préparatoires de Burton, parfaitement insérés au milieu des textes. On y découvre toute sa folie et son imagination débridées avec un rendu magnifique. Personnellement, je n'ai que l'édition poche mais l'ouvrage est très bien pensé et imprimé sur du papier d'excellente qualité. On y apprend beaucoup sur les jeunes années du réalisateur culte, sur ses inspirations, ses obsessions. On s'attache d'autant plus à ce drôle de bonhomme introverti qui, s'il n'a pas toujours été au top, est un parangon de sincérité. 

Croquis pour son court-métrage Vincent
Il est à noter que le livre a tardé à sortir en France et avait déjà fait l'objet de plusieurs éditions dans les pays Anglo-Saxon. Chacune étant préfacée par le copain de toujours Johnny Depp. On a droit des anecdotes marrantes et touchantes sur l'amitié et la collaboration qui lie ces deux énergumènes. On apprend beaucoup sur l'envers du décor mais pas forcément beaucoup sur la vie privée de Tim, toujours très discret sur ce point. Batman le Défi est ainsi un des tournages les plus durs de sa carrière, Ed Wood, sa clé de voûte...on est parfois surpris par le point de vue qu'adopte le créateur sur son travail, mais cela enrichira sûrement le votre. Le livre s'arrête au moment de sa parution originale, en 2008 et n'évoque donc sa filmographie que jusqu'à Sweeney Todd.

 
En bref, un joli petit livre, qu'il soit en poche ou grand format, un must pour les fans du gothique aux coupes improbables.

dimanche 22 mars 2015

La vie après la mort

Auteur: Damien Echols
Maison d'édition: RING
Date de publication: 2014

Nombre de pages: 528 pages

West Memphis, Arkansas, 1993. les corps de trois jeunes garçons de huit ans (Steve Branch, Michael Moore et Christopher Byers) sont retrouvés près d'une rivière dans le lieu dit Robin Hood Hills. L'affaire émeut cette petite ville ultra chrétienne où le niveau d'études ne dépasse que rarement l'école primaire. Trois adolescents sont immédiatement accusés de ce crime abject et considéré comme satanique. Jason Baldwin, Jessie Miskelley et Damien Echols vont subir l'opprobre publique et seront condamnés à l'issue d'une enquête et d'un procès bâclés. Perpétuité pour Jason et Jessie, peine capitale pour Damien, étant majeur et déjà persécuté par la police locale. 

Damien, Jason et Jessie en 1993

L'erreur judiciaire dont ils sont victimes devient une véritable affaire dans l'affaire à partir du moment où HBO envoie deux jeunes documentaristes, Joe Berlinger et Bruce Sinofsky, pour couvrir le procès pour sorcellerie qui s'ensuit. S'attendant à faire face à des fous furieux satanistes, ils découvrent très vite que la procédure est totalement absurde. Le dossier ne repose sur rien si ce n'est la marginalité des trois jeunes hommes (Damien, en particulier écoute du métal et s'habille en noir). Jason est déficient mental et a été manipulé par les agents de police qui lui ont dicté ses aveux, les preuves sont falsifiées ou détournées...Au final, le duo finira par signer pas moins de trois documentaires (sortis respectivement en 1996, 2000 et 2011) sous le titre Paradise Lost. Ainsi naquit un immense mouvement populaire visant à la révision du procès de ceux que l'on appelle désormais les West Memphis Three (Metallica a exceptionnellement accordé le droit aux réalisateurs d'utiliser certains de leurs morceaux). 


Dès lors, des milliers d'anonymes mais aussi de grands noms vont se mobiliser sans relâche, donnant leur temps et leur argent pour que justice soit rendue. Eddie Vedder, Johnny Depp, Marylin Manson, Tom Morello, Peter Jackson et sa compagne donneront concerts de charités, utilisèrent leur célébrité pour attirer l'attention des médias et du public sur ce qui s'apparente à la plus grande erreur judiciaire de l'histoire des Etats-Unis. Finalement, après 18 ans de lutte, ils sont libérés en 2011.

Jason, Damien et Jessie en 2012
Le livre qui nous intéresse aujourd'hui est l'oeuvre de Damien Echols. Il traite de sa vie avant, pendant et après la prison (qui représente presque la moitié de son temps sur Terre). On le suit donc à travers sa vie de famille instable (ses parents divorcent quand il est petit et sa mère enchaînera les mauvais choix alors que son père disparaît purement et simplement), sa quête d'identité et de spiritualité (il est autant fasciné par le catholicisme que l'ésotérisme de Crowley ou les philosophies asiatiques). On y parle de la difficulté pour les jeunes de vivre dans une petite ville conservatrice et arriérée tant politiquement que religieusement, des choix à prendre, des regrets...Puis vient le temps des tourments. La police commence à s'intéresser à Damien et à ses deux meilleurs amis. Ils vagabondent, veulent fuir le destin qui les accablent, s'extraire de ce monde qui les broie. Avant même la prison, les trois jeunes gens ont enduré bien des épreuves, mais le pire est à venir.

Les trois victimes des meurtre de Robin Hood Hills
Dès les débuts de ''l'enquête'' Damien figure en tête de la liste des suspects (qui, en fait, ne contient que son nom). Lui est ses amis sont isolés de leurs familles et de leurs proches. Le procès initial se déroule en un temps record. Les trois accusés vont errer de centre détention en prisons de sécurité maximale. Jusqu'à ce qu'au bout d'une énième procédure, ils puissent sortir libres. Mais au prix d'un choix terrible, leur avocat leur conseillant d'utiliser l'Alford Plea, qui consiste à les innocenter tout en reconnaissant la légitimité de l'accusation (oui, c'est n'importe quoi). Entretemps, Damien est devenu père et s'est marié à son plus fervent soutien, Lorrie. Le véritable assassin est toujours libre et n'a jamais été inquiété (et ce malgré de nombreuses preuves à charge)


Damien et sa femme Lorrie
Voilà pour le contexte et le fond. Pour la forme, il convient de dire que c'est impressionnant. Echols a énormément lu pendant son incarcération, il a écrit des tonnes de carnets, pour la plupart perdus mais dont certains extraits sont cités dans le livre. Son écriture est forte, pleine d'images poétiques, singulière et unique. La maturité qui se dégage de ces pages est ahurissante et ne rend son récit que plus poignant. Très humain et pudique, il n'en est pas moins douloureux et particulièrement juste et lucide. Ce n'est pas un ouvrage putassier ou racoleur sur le couloir de la mort et l'affaire sordide des meurtres de ces trois enfants. Pas plus qu'il ne s'agit d'un simple réquisitoire à l'encontre du système politique et judiciaire américain (l'affaire parle pour elle même).  Les parties se déroulant dans le couloir de la mort sont glaçantes, ce lieu est impitoyable pour les coupables, imaginez y passer deux décennies en étant innocent.... C'est une histoire humaine extrêmement puissante qui nous laisse pantelant. La force de caractère de cet homme qui aurai pu sombrer dans la folie mais qui a réussi à transformer son expérience carcérale en force, en en faisant une retraite monastique qui repoussera ses limites. Les émotions que procurent cette lecture sont nombreuses mais toujours très fortes. Le fait qu'elle ne soit pas linéaire nous permet de mieux nous immerger dans l'esprit de son auteur. Sa façon de voir le monde, empreinte de magie et de fugacité est particulièrement touchante. On y trouve le pire comme le meilleur de l'humanité, les passages évoquant son épouse sont très romantiques et émouvants. Personnellement, les larmes ont pointé leur nez plusieurs fois, mais au final, on ressort grandi et fort de ce récit douloureux, obsédant et empreint de combativité.
En bref, ce livre est une merveille qui ne doit pas être pris à la légère de par son contenu particulièrement fort, qui pourrait choquer par moments. Le catalogue des éditions RING est assez étrange voire discutable parfois, mais il faut leur reconnaître qu'ils ont su mettre en avant un ouvrage aussi dur que nécessaire. Si vous souhaitez développer un peu plus, regardez West of Memphis, le documentaire définitif produit par Peter Jackson et Fran Walsh (qui a une merveilleuse BO).

Contacts: -Le site francophone de soutien aux WMT http://freewm3.free.fr/
-le site des éditions RING:http://www.ring.fr/